les 110 ans du meeting du mans

Il y a 110 ans, se déroulait le premier Grand Prix de France au Mans, le 23 juillet 1911. Le silléen Victor Hémery y décrochait sa première victoire sur ses terres natales. Nous avons rencontré son biographe Jean-Yves Lassaux pour faire revivre cette course...

 

Sillé Patrimoine : Pourquoi cette course est-elle le “premier Grand Prix” ? N’y avait-il pas eu d’autres grands prix précédemment ?

Jean-Yves Lassaux : Si, bien sûr, la première appellation “Grand Prix” remonte à 1906 (si l’on excepte le Circuit du Sud-Ouest en 1901, également nommé “Grand Prix de Pau”). Du fait de la désaffection pour la Coupe Gordon-Bennett, l’Automobile Club de France va créer la nouvelle formule Grand Prix. Mais ces courses étaient nommées “Grand Prix de l’Automobile Club de France”. À partir de 1909, ils vont être annulés suite au boycott des constructeurs, et ne reprendront qu’en 1912. En 1911, Le Mans accueille l’Exposition de l’Ouest de la France et il est prévu d’organiser à cette occasion une course automobile. Pour ne pas prêter à confusion avec le Grand Prix de l’A.C.F., ce sera le Grand Prix de France, devenant ainsi la première course à porter ce nom.

 

S.P. : Ce fut donc une grande course ?

J.Y.L. : Tout dépend de ce que l’on entend par “grande”. La situation du sport automobile était particulière à ce moment-là. Les constructeurs ne souhaitant plus assumer les coûts élevés engendrés par les grands prix, privilégiaient les courses dites de Voitures Légères ou de Voiturettes. Pour ce Grand Prix, l’Automobile Club de la Sarthe et de l’Ouest de la France (bientôt simplement l’Automobile Club de l’Ouest) avait prévu deux catégories ; l’une avec une cylindrée limitée à 7 600 cm3, et l’autre sans limitation de cylindrée. Si la première va enregistrer quelques engagements officiels, la deuxième sera boudée par les constructeurs et les voitures participantes seront d’anciens modèles privés, à tel point que ça vaudra à cette course le surnom de “Grand Prix des Vieux Tacots” ! Mais heureusement, il y aura deux courses en une, puisque l’A.C.F. a décidé de faire courir en même temps le Critérium des Voitures Légères ce qui étoffera le plateau des concurrents. C’est la suite de la Coupe des Voitures Légères disputée le 25 juin à Boulogne-sur-Mer, ouvert aux voitures de 3 litres maximum.

 

S.P. : Et comment Victor Hémery s’est-il retrouvé à piloter une Fiat dans ce Grand Prix ?

J.Y.L. : En fait, initialement Victor n’était pas engagé dans le Grand Prix. Il avait signé chez Grégoire, pour lequel il avait couru à Boulogne-sur-Mer en juin, et il était donc prévu qu’il participe au Critérium des Voitures Légères. Mais le 16 juillet, le constructeur annonce qu’il n’engagera finalement qu’une seule voiture confiée à Jean Porporato... Voilà donc Victor sans volant pour la course du 23 ! Et pour la petite histoire la Grégoire ne prendra même pas le départ. Grâce à ses relations, il va apprendre que le concessionnaire parisien de la Fiat dispose d’un modèle de tourisme qu’il peut mettre à sa disposition, et c’est seulement cinq jours avant la course que les organisateurs reçoivent un engagement pour une Fiat pilotée par Victor !

 

S.P. : Vous dites “de tourisme”, ce n’était donc pas une voiture de course ?

J.Y.L. : Merci de me donner l’occasion de tordre le cou à cette aberration qui a la vie dure. Quasiment partout sur internet l’on peut lire qu’il pilota une Fiat S74 qui était la voiture de course de l’usine. Non, et mille fois non, ce n’était sûrement pas une S74 ! La Fiat de Victor était un modèle du catalogue de 1908 et engagée à titre privé. Mais inutile d’argumenter davantage, il suffit pour s’en convaincre de comparer les deux photos suivantes : à gauche la Fiat de Victor ; à droite la S74 du Grand Prix de l’A.C.F. en 1912... Pas besoin d’être un expert ! Quant à la page Wikipédia consacrée à Victor, elle mentionne une S61 qui était le modèle de course précédent la S74 ce qui est tout aussi faux...

 

 

 


S.P. : Pourquoi ne modifiez-vous pas la page Wikipédia ?

J.Y.L. : Je n’ai absolument rien à voir avec cette page et m’en désintéresse complètement ! Il est probable qu’après la publication de l’interview cette erreur disparaisse... Mais ce n’est pas la seule qu’elle contient ! Et puis c’est pratique lorsque je vois un article sur Victor publié sur internet ou dans la presse écrite pour savoir immédiatement d’où viennent les sources... Ça renseigne illico sur l’auteur et le niveau de recherche effectué ! (rires)

 

S.P. : Revenons à la course, fut-elle facile pour Victor Hémery ?

J.Y.L. : Pas autant qu’il semblerait si l’on ne considère que le classement final. Il était engagé dans la catégorie “sans limitation” avec quatre autres concurrents, tous avec des voitures de course. Sa Fiat n’étant pas prévue pour la compétition, il a rencontré des difficultés avec les suspensions et la transmission. Mais le déficit de performance par rapport aux voitures de ses adversaires a été compensé par son pilotage très agressif. En début de course il va se maintenir au contact des leaders. Puis il va réaliser le meilleur temps en course dans le cinquième tour, et au suivant s’installer à la deuxième place. C’est dans ce tour que les sarthois Maurice Fournier et son mécanicien Georges Louvel furent victimes d’un accident mortel dans les Hunaudières. Ensuite, Victor va batailler avec Arthur Duray sur Lorraine-Dietrich pour le gain de la première place, jusqu’à l’abandon de ce dernier. À partir du neuvième tour Victor n’a plus d’adversaires directs et se permet même de lever le pied pour boucler les trois derniers. Il est le seul à effectuer les douze tours ; le deuxième, Friederich sur Bugatti engagé en catégorie “7 600 cm3” termine à deux tours.

 

S.P. : C’est donc une victoire importante pour Hémery ?

J.Y.L. : D’un point de vue sportif cette course n’était pas d’un grand intérêt. Rien à voir avec une victoire dans un grand prix international alignant des voitures d’usines. Mais pour Victor, oui c’est une belle victoire, non seulement sa première “à domicile”, petite revanche sur la malchance du Grand Prix de 1906, mais elle fut acquise au prix de gros efforts. Victor pouvait être satisfait bien que sa joie fut tempérée par le décès de ses camarades...

 

S.P. : Cette victoire va-t-elle influencer le reste de sa carrière de pilote ?

J.Y.L. : Pas le moins du monde ! Grégoire ne renouvellera pas avec lui et Fiat ne proposera pas d’engagement, considérant cette victoire comme anecdotique et de toute façon ayant déjà tous leurs pilotes... Il fera une dernière course en 1911 avec une Benz engagée par Benz Auto Import dans le Grand Prix de l’Automobile Club d’Amérique à Savannah, remporté par une Fiat... S74 celle-ci ! L’année suivante Victor signera chez Lorraine-Dietrich, mais ça c’est une autre histoire qui sera à lire dans la biographie.

 

S.P. : À propos, avez-vous déjà une date de sortie pour ce livre ?

J.Y.L. : Non, pas encore. Je suis toujours en écriture, mais je peux vous dire que ça avance bien et je pense être en mesure de le proposer à un éditeur d’ici la fin de l’année...

Les pilotes engagés dans la catégorie "sans limitation"

Victor Hémery sur Fiat